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Antoine Béclère 

Tribune du Président d'Attac 

Libération du 23 mars 2005

 

Il faut voter contre le néolibéralisme à l'européenne et le recul organisé de la démocratie.

CETTE CONSTITUTION, NON MERCI

 

Par Jacques NIKONOFF

Président d'Attac France

 

Le référendum organisé le 29 mai 2005 en France a une portée historique. En cas de victoire du non, jamais les citoyens n'auront eu d'occasion plus claire et plus prometteuse de faire repartir l'Union européenne (UE) sur de nouvelles bases, et de mettre un coup d'arrêt aux politiques néolibérales. La véritable question posée lors de ce référendum ne sera pas seulement oui ou non à la Constitution européenne, mais aussi et surtout, oui ou non au néolibéralisme à l'européenne.

Quelles sont, en quelques mots, les deux raisons essentielles qui conduisent à voter non ?

 

Première raison de voter non : depuis des années, et plus particulièrement depuis l'Acte unique de 1986, l'Europe vit une profonde crise économique, sociale et environnementale. Cette crise est le résultat direct des choix politiques faits par les gouvernements des pays de l'Union et par la Commission européenne, qui donnent à la concurrence et au marché priorité sur toute autre considération comme la coopération, la solidarité, la justice sociale, entre autres. La concurrence, d'ailleurs, n'est souvent que pure rhétorique, puisque la plupart des grands marchés sont contrôlés par une poignée de transnationales. S'y ajoute une crise politique matérialisée par un taux d'abstention croissant aux élections européennes, chaque scrutin battant un nouveau record (57 % d'abstentionnistes en juin 2004). Ce «déficit démocratique», que les eurocrates reconnaissent eux-mêmes, est la conséquence logique et délibérée de la manière dont s'est construite l'UE : opacité, obscurité, contournement des parlements et des citoyens.

 

Deuxième raison de voter non : le texte de la Constitution, qui reprend l'ensemble des traités antérieurs qui ont fondé la CEE, puis l'UE, conduit à organiser un recul systématique de la démocratie en Europe et à y faire disparaître toute ambition sociale.

 

Recul organisé de la démocratie : impossibilité de véritables initiatives citoyennes, tout comme, dans les faits, de révision de la Constitution ; mise à l'écart du peuple comme source de la souveraineté ; géométrie variable de l'égalité entre les États ; soumission de la politique étrangère et de la défense de l'Union à l'Otan et donc aux États-unis ; atteintes à la laïcité ; limitation des «coopérations renforcées» ; «constitutionnalisation» de la politique économique.

Mais il y a plus. Ce texte programme l'abandon de toute ambition sociale : caractère incomplet et non contraignant de «droits fondamentaux» par ailleurs très insuffisants ; absence de la notion de bien commun ; refus de faire du plein emploi un objectif de l'Union ; non-reconnaissance et subordination des services publics aux règles de la concurrence ; politique monétaire hors du contrôle des citoyens et même des États ; libre circulation des capitaux qui entrave toute mise en oeuvre d'une véritable fiscalité européenne ; politique de la recherche qui ne vise qu'à favoriser la «compétitivité» ; politique de l'environnement qui n'est que saupoudrage ; impossibilité de construire de grands projets européens d'intérêt général.

 

Un mécanisme économique contestable ú la «concurrence libre et non faussée» ú est érigé en principe constitutionnel d'organisation de la société. Si la Constitution européenne était ratifiée, le vieux rêve des néolibéraux les plus extrêmes serait réalisé en grande partie en Europe. Ils seraient enfin parvenus à soustraire totalement la décision économique au pouvoir du législateur et du suffrage populaire, à placer l'économie hors de portée de la responsabilité politique, pour la mettre, dans la réalité, au service des transnationales. Comment pourrait-on ne pas dire non à un tel projet ?

En France, au cours de ces soixante dernières années, trois scrutins seulement peuvent prétendre à un caractère historique : le référendum du 5 mai 1946 sur la Constitution de la IVe République ; le référendum du 28 septembre 1958 sur la Constitution de la Ve République ; l'élection présidentielle du 10 mai 1981. Le référendum du 29 mai 2005 revêt, lui aussi, ce caractère dans la mesure où, bien mieux et beaucoup plus clairement que toutes les autres consultations, il révélera le rapport de forces entre les idées néolibérales de régression sociale et démocratique et les idées progressistes de solidarité.

 

Une victoire du non stimulera à coup sûr les luttes sociales et syndicales. Le gouvernement Raffarin, le président de la République et le Medef, tous adeptes du oui, seront affaiblis, ouvrant le champ à des avancées sociales. Cette victoire conduira de surcroît à une clarification de la position du Parti socialiste et des Verts sur la question centrale de notre époque : la question libérale. Cette clarification pouvant arriver à maturité au moment des élections présidentielle et législative de 2007, celles-ci pourraient alors se présenter non plus sous la simple forme d'une alternance, mais bien d'une alternative. Une victoire du non en France aurait donc de toute manière pour vertu de débloquer la situation, de desserrer l'emprise néolibérale en Europe, de redonner confiance et espoir à ceux qui considèrent qu'un autre monde et une autre Europe sont possibles.

 

Bien évidemment, à l'échelle européenne, une victoire du non en France ne provoquera ni le chaos ni la crise que les partisans du oui brandissent comme un épouvantail. Sur le plan juridique, le traité de Nice, adopté en 2000 et en vigueur depuis le 1er mai 2004 pour les Vingt-cinq, continuera normalement à régir le fonctionnement de l'Union. Sur le plan politique, le non français suscitera des débats dans les autres pays de l'Union où la construction européenne et par conséquent la Constitution européenne sont vécues comme surplombant et transcendant la question libérale.

Que deviendra l'Europe si la Constitution est rejetée par la France, État fondateur de l'Union ? La discussion entre les gouvernements reprendra, mais dans un tout autre rapport de forces, et permettra certainement de mieux respecter les aspirations réelles des citoyens favorables à une véritable Europe sociale et solidaire.

 

Alors, le 29 mai, cette Constitution non merci !

Jacques Nikonoff président d'Attac France