Accueil

Antoine Béclère 

Une campagne axée sur la peur ! 

 

 

Mardi 12 Avril 2005

 

 

 

La direction veut faire jouer la peur


 

Parti socialiste. À sept semaines du référendum, François Hollande et les tenants socialistes du « oui » creusent les divisions au risque de casser les rassemblements politiques anti-libéraux qui s'opèrent.

 

«Dans cette campagne, ce qui effraie le plus, c'est ceux qui manipulent les peurs », dit l'un. Un autre, à la même tribune, dénonce « la malhonnêteté de beaucoup d'adversaires du traité qui jouent sur les peurs ». C'était samedi matin. L'un, c'est le socialiste Jacques Delors. L'autre, c'est Claudie Haigneré, ministre de Jean-Pierre Raffarin. Jusque-là, le PS ne s'était pas risqué à battre la campagne avec la droite. Ils se retrouvaient pourtant pour défendre le projet de texte constitutionnel. Et surtout jouer du paradoxe : stigmatiser le prétendu registre de peur qu'utiliseraient selon eux les pro- « non », quand la ficelle est tirée par leur propre camp. Tant à droite que chez les « oui » PS, l'argument de campagne essentiel est la peur dont on décline les multiples facettes : peur pour l'avenir de l'Europe, peur pour 2007, peur d'une crise au sein du Parti socialiste... Et utilisation de l'extrême droite repoussoir : « Si Le Pen ne s'est pas fait entendre dans cette campagne, c'est que d'autres font le travail à sa place », a déclaré François Hollande, vendredi, suscitant un tollé au sein de sa propre formation de la part de ceux accusés de faire le jeu lepéniste...

 

« Avec cette stigmatisation flétrissante, il s'agit pour lui de pousser les indécis vers l'abstention ou vers un "oui" de résignation », a constaté Jean-Luc Mélenchon. Lequel s'est aussitôt livré à petit travail d'historien : « Cette instrumentalisation de l'épouvantail d'extrême droite a été utilisée par le Club Témoin, fondé par Jacques Delors et dont le premier secrétaire du PS, François Hollande, fut l'un des animateurs. » Julien Dray, toujours sur le même registre, vilipende « la radicalisation et les dérapages du "non" extrême » (la place de l'adjectif n'étant pas une erreur grammaticale) après les oeufs jetés à la figure de Cohn-Bendit en meeting pour le « oui » à Montpellier. Lequel Cohn-Bendit, dénonce des pratiques « gauchistes » : un connaisseur !
 

 « Il y aura un après-référendum », avait déclaré François Hollande lors d'un conseil national en février. Il appelait alors au rassemblement de la famille socialiste en conjurant d'éventuelles déchirures lourdes de danger. Tout se passe, à sept semaines du scrutin, comme si la direction elle-même entendait jeter de l'huile sur le feu en effectuant un virage stratégique interne à 180 degrés. Désormais, ce sont les tenants du « non » socialiste, en particulier Laurent Fabius, Henri Emmanuelli ou Jean-Luc Mélenchon, qui calment le jeu. Force est de constater que le prétendu risque de « schisme » au sein de la gauche et du PS en particulier, un moment brandi par les « non » PS eux-mêmes devant l'autisme de la direction et la montée des mouvements sociaux, ne se vérifie pas dans les faits au fur et à mesure du déroulement de la campagne. Le « non » de gauche, objectivement, quelles que soient les tactiques des uns ou des autres de ses leaders, rassemble, quand le « oui » de gauche, tout aussi objectivement, divise, et pratique l'anathème à défaut de pouvoir prononcer des excommunications.
 

 Dans ce contexte, certains observateurs vont jusqu'à prophétiser une prochaine explosion du PS. Nul ne peut prédire comment s'opéreront les mutations structurelles sans doute nécessaires à moyen terme au sein de la gauche. Reste que dans l'immédiat on voit mal l'opinion publique influencée par la social-démocratie française suivre l'orientation actuelle. Laquelle prend le risque de se tirer une balle dans le pied à moins de deux ans d'échéances politiques nationales fortes, alors que, pour partie, le penchant pour le « non » revient à précipiter le moment d'en découdre avec la droite pour solde des comptes d'avril 2002. Le paradoxe est que François Hollande n'a pas d'autres horizons que 2007 tout en faisant l'impasse sur les potentialités de rassemblement politique antilibéral en germe. Au risque d'aboutir à un PS cacochyme quand le noeud gordien semblait devoir lui être réservé.


 

Dominique Bègles