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Antoine Béclère 

 Quotimed du 13 &15 octobre !

 

Statut des PH, gouvernance, T2A, investissement...

Edouard Couty, cartes sur table

Depuis février 1998, date à laquelle il a pris la tête de la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (la Dhos), au ministère de la Santé, Edouard Couty cultive le secret. Dans un entretien avec « le Quotidien », il accepte toutefois de commenter sans fard les grandes réformes hospitalières en cours.

LE QUOTIDIEN - Sur quels aspects la négociation sur le statut des praticiens hospitaliers, qui vient de débuter, va-t-elle porter ?

EDOUARD COUTY - On démarre cette négociation sur la base du relevé de conclusions qui a été signé le 2 septembre dernier non seulement pour la chirurgie publique, mais également pour l'ensemble des praticiens. Premier point important : la revalorisation et la rénovation du système des astreintes. Il est prévu pour 2005 une augmentation globale de leur rémunération de 15 %, ainsi que la simplification du système.

Autre point important, qui vise à reconnaître la qualité et l'activité :

dans la négociation statutaire qui s'ouvre, on a le socle commun, constitué par le statut et la grille indiciaire, qu'on a considérablement revalorisée il y a deux ans. Et, fait nouveau, on a maintenant un système d'indemnités variables, selon des facteurs dont nous discuterons, et qui ont été arrêtés dans le principe par l'accord sur la chirurgie. Ces indemnités variables dépendront de l'engagement et de l'implication du médecin dans la vie institutionnelle de l'établissement - par exemple, au fonctionnement de la CME (commission médicale d'établissement, ndlr], à la mise en place des pôles, du conseil exécutif, etc. Elles seront également fonction du volume d'activité du praticien, ainsi que de son engagement individuel dans la qualité, via la nouvelle procédure d'accréditation des praticiens prévue par la loi du 13 août 2004. La négociation statutaire arrêtera les modalités d'attribution de ces nouvelles indemnités.

Cette forme de rémunération adossée à l'activité et à la qualité sera-t-elle réservée aux seuls chirurgiens ou concernera-t-elle l'ensemble des praticiens hospitaliers ? Son introduction ne signe-t-elle pas la fin du statut unique des PH ?

Cette reconnaissance de l'activité et de la qualité sera ouverte à tous les PH dans les conditions définies à l'issue de la négociation. Ce n'est donc pas la fin du statut unique des PH, mais, au sein de ce statut, la reconnaissance de la spécificité de certaines spécialités ou de certaines fonctions.

Venons-en à la réforme de la gouvernance hospitalière, qui suscite des réactions variées sur le terrain. Pouvez-vous en rappeler les grandes lignes ?

L'objectif de la nouvelle gouvernance n'est pas de faire des économies à l'hôpital. L'objectif, je le rappelle, c'est de dynamiser et de responsabiliser les équipes, et de médicaliser la gestion de l'hôpital. Que prévoit la réforme ? Le conseil d'administration définit la stratégie de l'établissement, ses compétences sont très larges, mais pas gestionnaires.

Le conseil exécutif est composé à parité de représentants du corps médical et de l'administration, et présidé par le directeur général ; c'est l'organe qui décide, qui dirige l'hôpital. L'organisation de l'hôpital est libre, avec la constitution de structures dont l'appellation est laissée au choix de l'hôpital - pôles, fédérations, départements. Ces structures sont constituées sur la base d'un projet médical fort et cohérent et de manière telle qu'elles aient un volume d'activité, de moyens et un effectif de personnels suffisants pour justifier une délégation de gestion. Il y aura donc une délégation de gestion entre le conseil exécutif et chacun de ces pôles d'activités construits sur une logique médicale. La contractualisation interne et la politique d'intéressement vont de pair. Le pôle va contractualiser sur son activité, les moyens mis en ouvre et des objectifs. L'objectif, s'il est atteint, peut déclencher un intéressement collectif et individuel. Pour l'instant, les hôpitaux n'expérimentent que l'intéressement collectif, car il n'y a pas de texte qui autorise l'intéressement individuel. La reconnaissance concrète de l'activité, de la qualité et de la pénibilité dans le statut des PH peut concrétiser cet intéressement. Par exemple, si un chirurgien exerçant au sein d'un pôle dûment constitué atteint ou dépasse les objectifs fixés, en termes de qualité et d'activité, il pourra bénéficier de ce nouveau dispositif.

Le projet d'ordonnance sur cette nouvelle gouvernance des hôpitaux peut-il encore être modifié, de manière à introduire l'assouplissement demandé par plusieurs syndicats ?

Le comité de suivi prépare les avant-projets. Quel est le calendrier ? C'est d'abord le vote, en octobre, de la loi d'habilitation autorisant le gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance. Logiquement, l'ordonnance sur la gouvernance devrait pouvoir être promulguée avant la fin de l'année. Je crois qu'il faut un maximum de souplesse dans ce texte. Mais je note ceci : ceux qui demandent de la souplesse aujourd'hui sont les mêmes qui, cet hiver, ont demandé qu'on précise les choses dans le détail.

Autres éléments : certains, comme la FHF (Fédération hospitalière de France) et les conférences, demandent le maintien de l'amendement qui, depuis 1991, autorise les établissements à s'organiser autrement qu'en services. Seul le CH de Bayonne s'en est servi. Demain, la loi dira que l'organisation en pôles est le principe de base. Maintenir cet amendement, ce serait laisser aux hôpitaux la possibilité de ne pas s'organiser de cette façon : je ne suis pas convaincu que ce soit la bonne solution. Je note aussi que, parmi
la centaine d'établissements qui anticipe la réforme, la plupart sont dans l'esprit de la loi. Aujourd'hui, la création des pôles doit absolument être assortie d'une délégation de gestion : sur les cent établissements qui anticipent, seulement quelques-uns le font. Cette délégation de gestion doit être contractualisée avec une évaluation sur les résultats et une appréciation de la performance : ce n'est pas encore fait. Tous les hôpitaux ont encore du chemin à faire. C'est pourquoi il faut une base légale pour aller plus loin. Cette réforme institutionnelle se mettra en place dans le temps : les pôles devront être créés partout au plus tard au 31 décembre 2006.

Un mot sur la poursuite de l'application de la tarification à l'activité (T2A) dans les établissements ?

La part du financement des hôpitaux adossée à l'activité sera fixée entre 20 et 30 % en 2005 selon l'évaluation de l'année 2004. Le ministre de la Santé l'a annoncé à la commission des comptes. Quant à l'enveloppe Migac (qui financera les missions d'intérêt général et les aides à la contractualisation, ndlr), les discussions sur son contenu commencent, rien n'est encore tranché. D'ici à la fin de l'année, un décret établira la liste des missions d'intérêt général. C'est un devoir de transparence. La part financière des Migac sera connue a posteriori. Je pense que leur financement sera forcément supérieur à 13 % - ce que coûtent l'enseignement et la recherche dans les CHU - car les Migac recouvrent un champ plus large : outre l'enseignement et la recherche, elles comprennent la continuité des soins, la prise en charge de la précarité, les urgences,  les contrats entre les hôpitaux et les ARH. Les cliniques privées pourront en bénéficier dans la mesure où il sera reconnu qu'elles exercent des missions d'intérêt général.

Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils fixé les tarifs par groupes homogènes de maladies (GHM) des cliniques à un montant inférieur à ceux des hôpitaux ?

Tout simplement parce que les comparaisons sont aujourd'hui impossibles, les pathologies traitées étant de gravité différente et l'activité dans les cliniques plus spécialisée : moins de 40 GHM expliquent 80 % de leur activité. Pour l'hôpital public, c'est plus de 100 GHM qui expliquent la même activité. Les densités de personnels, les charges sociales, la finalité sont différentes d'un secteur à l'autre. Pour établir les comparaisons nécessaires et organiser la convergence à terme des tarifs, nous avons mis en place avec les fédérations d'établissements un groupe de travail sur les coûts de chacune des structures. L'objectif, je vous le rappelle, c'est une seule échelle tarifaire en 2012. Le Conseil national de l'hospitalisation proposera au ministre la façon d'y
arriver.

Pouvez-vous faire un point d'étape sur la politique de relance de l'investissement hospitalier ?

Au total, en 2003 et 2004, il y a eu 760 millions d'euros de crédits délégués, qui ont permis le financement de 2,2 milliards d'euros d'investissement supplémentaire, lesquels s'ajoutent aux 3 milliards d'euros réalisés hors plan Hôpital 2007, soit un total de 5,2 milliards d'euros investis sur ces deux années dans les établissements de soins (pour des achats d'équipement, des rénovations, etc.) ; 937 opérations sont en cours.Je rappelle que 6 milliards d'euros seront totalement subventionnés sur cinq ans (2003-2007), en plus des investissements habituels.

Confirmez-vous la somme de 3,3 milliards d'euros indiquée par Philippe Douste-Blazy, pour la mise en place de la réduction du temps de travail (RTT) à l'hôpital ?

Le compte est simple : 1,7 milliard pour le personnel non médical, 400 millions pour les médecins et près de 1,2 milliard pour le financement du CET (compte épargne-temps). Ce que je peux dire, c'est que les mesures concernant les 35 heures ont été entièrement financées. Ne reste plus qu'à financer la dernière tranche de création de postes médicaux en 2005 et, après, ce sera terminé (à la fin 2003, seulement 51 % des postes médicaux créés étaient pourvus, d'après une étude de la Dhos). Les crédits à la rémunération des personnels nouvellement recrutés sont intégrés en base dans le financement des hôpitaux. Le CET est financé par un fonds régulièrement alimenté (400millions d'euros en 2004), qui garantit le rachat des jours de RTT épargnés. En revanche, certaines informations nous laissent penser que le paiement aux médecins de leurs plages additionnelles est variable. Pour avoir une vision exhaustive de la situation, la Dhos va faire une enquête de terrain : des réunions régionales auront lieu avec les ARH, les établissements, les syndicats de PH et un de mes adjoints d'ici à la fin de l'année. La situation sera régularisée par la suite.

> PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE CHARDON

Le Quotidien du Médecin du : 13/10/2004

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En Angleterre, le dossier électronique sur les rails

Le NHS (National Health Service) s'est donné dix ans et un budget de 9,2 milliards d'euros pour enregistrer et faire communiquer une base de données concernant 50 millions de patients anglais. La phase de test a déjà commencé mais l'adhésion des médecins n'est pas encore acquise.

DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE

EN 2005, les patients anglais pourront réserver en ligne au cabinet de leur généraliste une consultation avec un spécialiste à l'hôpital. Ce nouveau service « Choose and Book » devrait mettre fin à l'une des plaies du service de santé britannique : l'accès au spécialiste à une date imposée par l'hôpital et avec des délais d'attente très long. Les premiers rendez-vous électroniques ont été testés cet été. Ce service est l'un des fers de lance du National Programme for Information Technology (NPfIT) orchestré par le NHS, l'équivalent outre-Manche de notre Sécurité sociale. Le programme, d'un montant de 9,2 milliards d'euros sur dix ans, est ambitieux. Il ne s'agit rien de moins que d'une mise en réseau de tout le système de santé qui permettra de gérer annuellement 300 millions de consultations chez les généralistes et 5 millions d'admission à l'hôpital.

L'échéance de 2010.

« Chaque patient aura son dossier électronique en 2010 », a promis le secrétaire d'Etat à la Santé en décembre 2003. A terme, quelque 850 000 professionnels, dont les 30 000 généralistes et les 270 centres de santé du NHS, auront accès au réseau. « Seul le système utilisé par le département américain de la Défense peut se vanter d'avoir davantage d'utilisateurs », souligne un commentateur.

Le département de la Santé s'est laissé convaincre à la suite de la publication en 2002 du rapport Wanless. Analysant les tendances du système de santé dans les vingt prochaines années, le document prévoyait que, sans un important effort d'informatisation et de communication, les services de santé allaient avoir de plus en plus de mal à délivrer des soins de qualité. Pour le moment, les appels d'offre, tous attribués (voir encadré), ont été menés rondement, les premiers tests démarrant dix-huit mois après la publication du cahier des charges. Mais comme le soulignait un éditorial du « British Medical Journal »* du 15 mai dernier, « gagner les cours et les mentalités, tant des professionnels de santé que du public, sera plus difficile », d'autant que l'implantation du système va modifier la façon dont les gens travaillent et dont les soins sont dispensés.

Pas d'états d'âme.

A priori, les généralistes anglais, les GP (General Practitioner) n'ont pas les états d'âme de leurs confrères français par rapport à l'informatisation de leur cabinet, intégrée qu'elle est depuis longtemps dans leur pratique quotidienne. En Angleterre, le GP est le gardien du dossier patient, y compris de ce qui s'est fait à l'hôpital qui lui envoie par courrier quantité d'informations codées. Les documents envoyés à l'hôpital (résumés de dossiers, etc), qui va prendre en charge son patient, sont déjà normalisés. En outre, les praticiens font eux-mêmes leurs demandes budgétaires prévisionnelles auprès du NHS en début d'année. On imagine que toutes ces tâches en grande partie administratives se trouvent allégées par l'automatisation. Résultat : sur 10 600 cabinets, seuls 200 ne sont pas
encore informatisés. De fait, dans un premier sondage, 61 % des GP se sont montrés favorables au dossier électronique, le Care Record Service du NHS (CRS) qui est au cour du système. C'est l'application qui supporte les services de réservations et de prescription électroniques en répertoriant les données de chacun des patient
reliées aux dossiers individuels détenus par les médecins. Un accès patient « my health space » est également prévu. Pendant du « Public Advisory Board » pour le public, le « National Clinical Advisory Board » était censé représenter les professionnels de santé dans l'organisation du programme, mais la démission de son président, six mois seulement après sa nomination, n'a pas fait bon effet. En juin, les généralistes présents à la conférence de la British Medical Association ont fait état de leurs craintes face à un « mammouth dont les défenses allaient ravager la relation médecin-patient ». La BMA est allée jusqu'à signer une motion de défiance vis-à-vis du dossier de soins électronique en attendant que les règles d'accès et les garanties de confidentialité soient précisées. Les pouvoirs publics n'ont pas tardé à réagir. Dès juillet, ils ont ouvert un site Web pour détailler le programme (www.npfit.nhs.uk) et mis en place un « Care Record Development Board » chargé de représenter les points de vue, tant des professionnels de santé que des patients sur le dossier électronique. Sa conférence inaugurale se tient le 25 novembre à Londres.

Elle est ouverte à tous.

> MARIE-FRANÇOISE DE PANGE

* Volume 328, ce numéro comporte un dossier sur les outils electroniques et l'amélioration des soins.

Un appel d'offres en trois temps

L'appel d'offres du NHS (180 pages pour les conditions générales et plus de 1 000 pages pour les spécifications) a été découpé en trois appels d'offres nationaux (Choose and Book pour le service de réservation ; le N3, New National Network, réseau à haut débit) ; le système central de données patients, le National Data Spine) et en cinq zones géographiques sur l'ensemble de l'Angleterre. Ces cinq territoires ont été confiés à cinq LSP (local service provider) chargés d'organiser le déploiement du système en liaison avec les consortiums ayant remporté les contrats industriels. A eux d'organiser l'hébergement des données, l'adaptation des systèmes informatiques des hôpitaux et des praticiens, de mettre en place les supports, etc. British Telecom s'occupe du N3 et du National Data Spine tandis que Schlumberger (devenu Atos) doit mettre en place le service de réservation. Coté LSP, BT est leader pour Londres, Accenture coiffe le Nord-Est et les Est-Midlands, CSC le Nord-Ouest et les Ouest-Midlands et Fujitsu le Sud qui est la région la plus peuplée. A noter, le GP conserve le choix de son logiciel. Mais encore faut-il que celui-ci puisse s'adapter. Le marché anglais est concentré avec quatre acteurs principaux : Emis (5 000 cabinets), InPS, (filiale britannique de Cegedim qui équipe 2 000 cabinets), Torex (1 500 cabinets) et GPass (1 000 cabinets). Emis a annoncé qu'il ne signerait aucun contrat avec des LSP alors qu'InPS a négocié avec BT, CSC et Fujitsu. InPS s'estime bien placé parce que son logiciel Vision* intègre déjà le « Quality and Outcome Framework » dans le cadre du nouveau contrat GP-NHS liant l'allocation des ressources à l'amélioration de la qualité des soins. >>>>* Quand le diagnostic est posé, un mémo rappelle au médecin tout ce qui est recommandé par le protocole et souligne ce qu'il a oublié en le comparant avec le dossier patient.

Le Quotidien du Médecin du : 15/10/2004

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Réforme de l'assurance-maladie - Le décret sur le fonctionnement de la Cnam au « JO »

Comme « le Quotidien » l'avait annoncé, le décret relatif à la composition et au fonctionnement du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam), qui fixe notamment le nombre de représentants des assurés sociaux et du patronat, a été publié au « Journal officiel » du 13 octobre. Ce décret, qui touche au volet « gouvernance » de la réforme de l'assurance-maladie, concerne notamment la composition des conseils d'administration de la Caisse nationale et des caisses primaires (Cnam et Cpam) d'assurance-maladie, réintégrées par le Medef et la Cgpme après trois ans d'absence. A la Cnam, le texte prévoit que le conseil d'administration sera composé de 13 représentants des assurés sociaux (3 CGT, 3 FO, 3 Cfdt, 2 Cftc, 2 CGC) comme actuellement, et de 13 représentants des employeurs, le Medef et la Cgmpe obtenant respectivement 7 et 3 voix. L'UPA conserve 3 voix, tout comme la Mutualité française. A cela s'ajouteront « six représentants d'institutions intervenant dans le domaine de l'assurance-maladie », dont la Fnath (accidentés de la vie), l'Unsa, l'Unapl (professions libérales), l'Unaf (famille), un pour le fonds de financement de la CMU, ou encore le collectif interassociatif sur la santé (usagers). Quatre autres textes concernant la réforme de l'assurance-maladie ont été également publiés au « JO » : ils concernent la mise en place du comité d'alerte en cas de dérive des dépenses, la création du conseil de l'hospitalisation, l'installation du comité de la démographie médicale et la disposition relative aux informations à transmettre aux caisses en cas d'accident impliquant un tiers.

Le Quotidien du Médecin du : 15/10/2004

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Une expérience concluante à Lille - Patients psy en famille d'accueil

Depuis quatre ans, l'Etablissement public de santé mentale (Epsm) de Lille Métropole expérimente une alternative à l'hospitalisation : certains patients dépressifs ou psychotiques qui ne sont pas à leur place dans un hôpital classique se voient proposer un accueil dans des familles sélectionnées pour leur écoute et leur disponibilité. Le séjour dure de deux à trois semaines, le temps de se reconstruire. Trois cents patients ont déjà bénéficié de cette prise en charge personnalisée.

DE NOTRE CORRESPONDANTE

L'EXPERIENCE LILLOISE est née d'un constat : entre l'hospitalisation classique et le maintien au domicile avec une prise en charge soutenue, il manquait une structure pour certains patients présentant des difficultés psychiques importantes. « Beaucoup d'anxiodépressifs refusent l'hospitalisation qu'ils jugent trop stigmatisante, constate le Dr Frédéric Wizla, psychiatre dans le service du Dr Jean-Luc Roelandt et coordinateur du dispositif. Bien souvent, l'hôpital ne constitue pas une réponse adaptée à leur situation. Il peut même aggraver les pathologies dans certains cas. Toute concentration humaine génère de la pathologie, et de la violence même larvée. » D'où l'idée d'élargir l'offre de soins en faisant appel à des familles d'accueil, comme cela se pratique aux Etats-Unis (à Madison). Trouver les familles n'a pas été le plus difficile : l'appel lancé dans la presse locale a suscité nombre de candidatures. Restait à convaincre l'hôpital de l'intérêt de la démarche. La tâche a été beaucoup plus ardue. « Les psychiatres de l'hôpital étaient très sceptiques. Quant aux syndicats infirmiers, ils craignaient que cette expérience ne dévalorise leur métier. » L'administration n'était guère plus favorable à cette alternative de soins qui bouscule des habitudes hospitalières bien établies. Finalement, en 1999, l'aval était donné et la première famille d'accueil enfin recrutée, après un long processus de sélection (entretiens avec les membres de l'équipe, enquête sociale).

Aider les autres. Aujourd'hui, elles sont une dizaine à accueillir régulièrement chez elles des patients en grandes difficultés psychiques. La plupart ont une expérience d'accueil - d'enfants ou de personnes âgées - et une forte implication dans la vie associative de leur quartier. Le salaire versé par l'hôpital étant assez modeste (1 100 euros nets par mois, frais d'hébergement compris), c'est avant tout l'envie d'aider les autres qui les motive.

« Personnellement, j'ai connu des périodes de grande souffrance dans ma vie. Et j'aurais aimé être accueillie de cette façon, confie Catherine, l'une des premières accueillantes, mère de 6 enfants. Alors quand j'ai vu l'annonce, je n'ai pas hésité. Pour moi, c'est une forme de civisme. Parfois, certains patients nous "chamboulent" un peu mais en général cela se passe bien. Je les écoute, et surtout je fais beaucoup de choses avec eux. De la cuisine, une partie de cartes, une promenade en forêt. Lorsqu'ils arrivent chez moi, ils n'ont envie de rien. J'essaie de les remettre sur les rails, de trouver les activités qui leur plaisent. Quand je vois qu'ils vont mieux, je suis vraiment heureuse. »

La plus grande difficulté pour les familles est de trouver la bonne distance : il faut s'impliquer pleinement dans l'accueil tout en préservant sa vie personnelle. Pour éviter les dérives, les conditions d'accueil sont cadrées dès le départ : un contrat est signé pour chaque séjour entre l'hôpital, le patient et la famille. Et l'équipe est très présente : une infirmière se rend dans la famille deux fois par semaine (plus si nécessaire) et une rencontre avec le psychiatre a lieu tous les vendredis au centre de consultation. En cas de problème, les accueillants peuvent appeler à l'aide 24 heures sur 24. « Les incidents sont très rares : deux appels nocturnes en quatre ans, précise Frédéric Wizla. Les patients sont très différents lorsqu'ils sont en famille d'accueil : ils s'intègrent au foyer et adoptent le rythme des personnes qui les reçoivent. Tout se passe comme si l'accueil en lui-même était déjà une thérapie. » Les séjours sont assez courts, deux semaines en moyenne, et concernent majoritairement des anxiodépressifs (60 %) et des psychotiques (20 %). Sont écartés systématiquement les patients à tendances suicidaires et les psychotiques ayant des accès de violence ou des antécédents sexuels. Avec quatre années de recul et 300 patients accueillis, l'équipe lilloise juge le bilan très positif : 98 % des situations ont évolué favorablement, les autres ont débouché sur une nouvelle hospitalisation ou une interruption du séjour, à la demande du patient. Cet accueil transitoire entre l'hôpital et le domicile permet d'écourter les séjours hospitaliers et donc de réduire le coût de certaines pathologies. Il évite la stigmatisation sociale et familiale. La démarche, actuellement unique en France, est suivie de près par l'OMS : l'Epsm de Lille fait en effet partie des cinq sites pilotes européens (avec Oviedo, Stockholm, Trieste et Birmingham) retenus pour leurs pratiques innovantes en matière de santé mentale.

> FLORENCE QUILLE

Le Quotidien du Médecin du : 15/10/2004