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Rebonds :
Une grande partie de la
hausse des revenus des médecins libéraux sera à la charge des patients.
La «maîtrise médicalisée» dans
le texte
Par Pierre VOLOVITCH
jeudi 23 décembre 2004
Pierre VOLOVITCH chercheur
à l'Institut
de recherches économiques et sociales (Ires).
Autour
de la question des dépenses d'assurance maladie, on avait entendu parler de
la «maîtrise médicalisée». Mais comme elle était demandée par certains sans
jamais être mise en place par les autres, on ne savait pas trop ce que
c'était. Le résultat des négociations entre les principaux, mais pas tous,
syndicats de médecins libéraux et le directeur de l'Uncam (ancien membre du
cabinet du ministre et toujours branché sur le gouvernement) permet de mieux
comprendre de quoi il retourne.
Dans le «point d'étape» du 3 décembre de ces négociations, on pouvait lire
que «les objectifs quantifiés de maîtrise médicalisée» devaient permettre de
«dégager des marges de manoeuvre permettant de revaloriser le métier
médical». Plus loin dans le même «point d'étape», on était encore plus
précis : «Les parties signataires s'entendent pour revaloriser le métier
médical dans le cadre du futur accord conventionnel par différentes mesures
d'un montant total correspondant à la moitié des économies prévues.» En
clair le deal est le suivant: pour toute économie sur la dépense collective
que vous nous permettez de faire, la moitié est pour vous. On voit déjà
combien le raisonnement est «médicalisé». La question devient alors : sur
qui ces économies vont-elles porter ? Qui va, en quelque sorte, «payer» pour
que les revenus des médecins puissent augmenter ?
Ici, une parenthèse. Il n'est pas question de dire que les revenus des
médecins ne doivent pas augmenter. Que les tarifs des spécialistes soient
bloqués depuis plus de quinze ans est une preuve du dysfonctionnement du
système. Qu'aujourd'hui le revenu moyen (pas le chiffre d'affaires, le
revenu) d'un radiologue soit quatre fois supérieur à celui d'un généraliste
montre clairement qu'il n'y a pas de politique publique dans ce domaine. Il
faut donc poser la question du revenu des professionnels, de son niveau, de
son évolution. Mais, pour ce faire, il faudrait enfin sortir du carcan du
paiement à l'acte. Ici, rien de tel. On ne met pas en place un mécanisme
pérenne garantissant aux professionnels l'évolution de leurs revenus, on ne
touche pas aux inégalités entre professionnels, on n'aborde aucune question
de fond. Le seul problème que l'on cherche à résoudre, c'est comment
permettre à l'ensemble des médecins de voir leur rémunération augmenter sans
que cela coûte plus cher à l'assurance maladie coincée dans un ONDAM à +3.2
% alors que l'évolution réelle des dépenses en 2004 est supérieure à 4 %.
Donc, qui va payer pour que les revenus des médecins libéraux augmentent ?
L'accord s'est fait sur une économie de 998 millions d'économie. L'emballage
est évidemment assez joli. Il faut «étendre le champ des bonnes pratiques»,
il faut «réduire les disparités régionales inexpliquées», il faut «réduire
la surconsommation au regard des constats dans les pays comparables». Mais
quel est le premier poste d'économie ? 455 millions à réaliser sur les
affections de longue durée (ALD) en réduisant le périmètre des soins pris en
charge à 100 %. Quel est le deuxième poste d'économie ? 161 millions à
réaliser sur «les remboursements des statines» (1). Et quel est le troisième
poste ? 150 millions à réaliser sur les prescriptions d'arrêts de travail.
Cela fait un total de 766 millions qui seront supportés par les patients et
en priorité par ceux qui relèvent d'une affection de longue durée. Plus des
trois quarts des économies, et donc de la future hausse des revenus des
médecins libéraux, sont à la charge des patients. Le quart restant repose
(225 millions) sur l'industrie pharmaceutique avec la diminution de la
prescription des antibiotiques, des anxiolytiques et des hypnotiques et par
le développement des génériques. Le reste, qui repose sur les labos et sur
les gastro-entérologues, est anecdotique.
Où est l'objectif d'«étendre le champ des bonnes pratiques» quand la
priorité est de réduire le champ de couverture des ALD ? Où est la réduction
des «disparités régionales inexpliquées» quand l'objectif de diminution des
remboursements des statines est rigoureusement le même pour toutes les
régions. Où sont les études qui montrent que la progression des arrêts de
travail correspond à une «surconsommation au regard de constats dans des
pays comparables». Seconde parenthèse: oui la progression des dépenses liées
aux ALD et aux arrêts de travail pose problèmes. Il faudrait donc se donner
les moyens d'y comprendre quelque chose. Agir comme si ces progressions
n'étaient que le résultat de la triche de patients fraudeurs non encadrés
par des praticiens laxistes, c'est le degré zéro de la réflexion.
Mais ce n'est pas un accord pour rire. Il y aura un «suivi paritaire et
décentralisé». Au niveau local «la commission paritaire locale recueille
tous les éléments d'information auprès des praticiens dont la pratique
présente des atypies au regard des engagements conventionnels de maîtrise
(et) adresse les mises en garde qu'elle estime nécessaires». En clair, pour
les syndicats signataires, pour des syndicats qui défendent bec et ongles un
exercice solitaire de la médecine (ce qu'ils appellent la médecine
libérale), la seule forme d'action collective c'est la surveillance et le
contrôle des collègues trop généreux sur l'arrêt de travail ou sur la prise
en charge des ALD.
Grâce à l'accord qui vient d'être signé par le Directeur de l'Uncam
(paravent transparent du gouvernement) et certains syndicats de médecins
libéraux, on a donc enfin le sens de l'expression «maîtrise médicalisée». La
«maîtrise médicalisée», c'est quand la dépense d'assurance maladie diminue
(c'est son côté «maîtrise»), quand les dépenses qui restent à charge des
malades augmentent, et quand les revenus des professionnels augmentent
(c'est son côté «médicalisée»).
Comme avant cet accord on avait déjà eu l'euro supplémentaire, la hausse du
forfait hospitalier et déjà certaines mesures de réduction du champ des ALD
, et comme grâce à cet accord les patients auront à leur charge, ou à celle
de leur complémentaire, les généreux dépassements de tarifs que cet accord
autorise, on n'est plus dans la «maîtrise médicalisée», on est dans la
«maîtrise super médicalisée».
(1) Médicaments pour les maladies cardio-vasculaires.
© Libération
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